Juste de l'humain...
Bonsoir les colibris,
De retour de Paris. Ville adorée ou détestée.
C’est celle d’où je viens.
Celle qui a fait que je suis aujourd’hui bénévole dans cette association.
J’en ai croisé des sans-abris pendant mes études.
Un bonjour, un sourire, une pièce, un café… Je ne savais jamais comment m’y prendre. Et cela me pesait terriblement.
Presque 30 ans plus tard, je me dis que j’étais dans le juste : ne pas passer devant cette personne sans un regard.
Etre ignoré, se sentir invisible est bien pire que d’avoir faim ou froid pour beaucoup.
30 ans plus tard, j’ai eu ces mêmes gestes dans cette même ville : m’arrêter pour offrir un café à l’un, sourire à ce monsieur qui fait la manche même si je ne lui laisserai pas de pièce…
Que ce soit ici ou ailleurs, faites un petit geste.
Ce n’est pas toujours simple, nos sentiments peuvent être confus voire contradictoires : tristesse, dégoût, gêne, culpabilité, impuissance…
Mais la meilleure façon de respecter une personne sans-abri est de reconnaître qu’elle est là et qu’elle mérite autant votre bonjour que votre voisin, votre boulanger…
Des mercis à tous les bénévoles qui ont aidé de près ou de loin à la maraude : Jessica, Géma, Valérie, Morgane, Chantal, Marc, Tatie, Laurence.
Merciiiiiiii Frantz pour ton risotto, sac de couchage et le ravitaillement en bouteilles d’eau.
Un énorme merci aussi à Estelle qui a préparé toute seule le repas chaud de la maraude.
Et le dernier merci à Laurence pour son compte rendu très complet de la
maraude :
« Un moment suspendu…
Hier matin 10h, je décolle de la maison, chaussettes de ski aux pieds, grosses chaussures d’hiver, bonnet, gants, écharpe, anorak, bref tout l’attirail pour vaincre le froid hivernal qui s’est abattu sur Annecy ces derniers jours.
Je me prépare à une matinée de maraude avec les bénévoles de l’association des suspendus.
C’est une première pour moi. Bien qu’ayant parcouru le compte facebook de l’association au préalable et connaissant marc dit « poussin » dans l’asso pour être bénévole comme lui au sein d’une autre association caritative, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Aucune importance, ce qui m’animait ce matin c’était juste me rendre utile, apporter un peu de chaleur à ceux qui n’en ont pas, une main tendue qui s’attarde un peu en signe de réconfort, un sourire qui s’affiche clairement et sincèrement et pourquoi pas un éclat de rire qui pourrait être contagieux.
Pourtant j’étais bien consciente qu’aucune des situations des personnes que j’allais croiser ce matin là ne porterait à la rigolade. Il ne s’agissait pas de cette intention là. Plutôt celle de faire briller quelques étoiles dans les regards que j’échangerai.
J’arrive au rendez-vous sur le parking d’un quartier d’Annecy où l’association détient ses locaux.
Les maraudeurs, je pensais que c’était le nom donné aux bénévoles comme poussin, mais en fait non c’est le nom des petites carrioles que nous allons traîner à travers la ville et qui transportent les marmites fumantes des repas préparés par une bénévole, les thermos pleins d’un bon café, les vêtements, chaussures et produits d’hygiène collectés, les conserves, salades, sandwich, chocolats, biscuits, pain, viennoiseries, bouteilles d’eau que nous proposerons aux baroudeurs. Si j’ai bien compris ce que l’on m’a expliqué en chemin, le baroudeur est la personne que nous allons aider avec nos carrioles pleines de nourriture. Ce sont des hommes, femmes, enfants, souvent sans domicile fixe ou logés en foyer avec très peu de moyen (voire aucun).
D’un pas léger, j’attaque la descente du début de notre itinéraire avec le maraudeur que m’a confié « poussine ». Poussine c’est aussi tatie, mais je l’appellerai Edith pour cette première matinée… c’est elle qui collecte et range soigneusement tous les dons sur les étagères dans le garage qui sert de local à l’association. Et je peux vous dire que c’est nickel, tout est aligné, plié, rangé; elle doit y mettre bcp de cœur et d’énergie.
Après avoir fait du slalom entre les voitures, les trottoirs, les bords des routes avec ma caisse à savon sur roulettes, on arrive près du cimetière de Loverchy, personne ne semble errer ce matin dans ce coin. Un petit sac à dos est bien posé sur le bord d’un banc mais il ne semble pas appartenir à une personne ayant dormi là cette nuit.
On poursuit le chemin. On rigole pour nous réchauffer et aussi parce que poussin tente tant bien que mal depuis le début du parcours de garder son maraudeur sur 4 roues.
Le matériel est usé et une des roues veut absolument se faire la malle. En fait c’est surtout un des écrous qui s’est fait la malle !!!
Résultat, exercice d’équilibriste pour la maraude pour tenter de garder le maraudeur sur 4 pattes.
On arrive dans la vieille ville où se tient ce samedi la brocante. Certaines têtes sortent de derrière les ruelles et nous font signe qu’ils vont venir au rassemblement du square qui se trouve près du local de La Croix rouge.
Nous nous posons avec nos maraudeurs bien alignés. Poussine me désigne responsable du café. Je me pose donc derrière mes Thermos prête à dégainer ce beau nectar qui réchauffe les cœurs. Un nectar que j’affectionne particulièrement par ailleurs.
Des jeunes, moins jeunes, habitués ou non, viennent au compte gouttes récupérer de quoi se nourrir, on sert quelques plats chauds, Poussine donne des lingettes, des vêtements et bottes fourrées, poussin note sur un cahier qu’il faudrait des chaussures chaudes de taille 42 pour P, ou bien des chaussettes enfants bien chaudes pour S, charge à l’association et grâce à l’aide d’autres assoc également de récupérer ces affaires pour le samedi suivant.
On prend des commandes qu’on livrera en click and collect
Enfin vous voyez ce que je veux dire …
Après avoir entendu en boucle ou presque de la bouche d’un baroudeur qu’il avait traversé la ville pour voir nos sourires, ce en quoi je l’ai remercié infiniment, mon regard se fige sur les 3 petites trombines que j’aperçois. Un petit garçon une petite fille et un autre garçon plus grand. Le papa semble les accompagner tenant la main du plus petit. Je ne m’imaginais pas, en fait, voir des enfants dans le froid ce samedi matin faisant la queue pour du chocolat, des biscuits, un plat chaud.
On quitte le square pour reprendre la route qui mène jusqu’au square de l’évêché, autre point de distribution et de rencontre pour l’asso avec les baroudeurs et baroudeuses.
On passe alors devant chez Frantz. Frantz, c’est un personnage dans la démarche des suspendus. C’est je crois un des seuls café suspendus d’Annecy. Dans son petit café restau, les clients peuvent offrir un café à une personne qui ne pourrait pas s’en offrir un.
Chaque café est ainsi pré payé par le client et suspendu aux lèvres d’un baroudeur qui se présentera et en réclamera un que Frantz lui servira alors gratuitement. Une ardoise affiche le nombre de cafés suspendus (offerts) et ceux qui ont été consommés.
Frantz, en manquant de se faire écraser par un vélo déboulant à toute allure, traverse la rue et nous apporte un grand plat de risotto butternut et saumon …..ce plat amoureusement et généreusement préparé viendra compléter les lentilles, les carottes et l’ebly qui me font déjà de l’œil…..cette petite marche m’a creusée on dirait ……
et puis il y a ce petit garçon qui arrive comme une furie sur sa petite trottinette bien emmitouflé dans son caban fourré, on dirait un petit nounours avec sa petite bouille ronde. Il saute dans les bras de Marc dit Poussin. Il est suivi d’une dame qui arrive souriante main dans la main avec une petite fille qui se précipite pour me dire bonjour et m’embrasser. Je suis surprise et pourtant c’est juste humain !!! Elle est contente de nous voir.
On charge nos maraudeurs des packs d’eau donnés par Frantz au grand coeur et on poursuit notre route vers le square de l’évêché.
On traverse le square, ses bancs, on croise T en train de choisir des livres dans la petite niche en bois qui abrite des livres donnés par les gens. Il en prend quelques uns dans son sac et nous fait signe qu’il nous rejoint pour la distribution juste après.
J’appréhende la descente un peu raide à côté des jeux pour enfants qui mène à la rue royale piétonne où nous allons nous installer.
Effectivement, sans permis de conduire préalable de maraudeur autant savoir qu’il convient de se mettre bien en amont de la charriote pour freiner sa descente si on ne veut pas se retrouver sous les roues ou les 4 fers en l’air !!!!
Rebelote chaque bénévole gare sa carriole en rang d’oignon pour la distribution.
Je me repose derrière mes Thermos de café et d’eau chaude pour les soupes, mes plaques d’œufs durs mayonnaise et mes biscuits.
Pendant une heure nous n’arrêterons pas …..un plat chaud monsieur, un petit café madame ? un sucre ? Ou 2 ? Un œuf dur ? De la mayonnaise ? Un plat chaud ?
Une bénévole nous dira avoir décompté au moins 55 personnes. Nous qui pensions ne voir que peu de monde !!! et bien, même si on ne peut pas se réjouir de voir autant de monde dans le besoin, on peut cependant être heureux d’avoir été là et d’avoir aidé et contribué à apporter un peu de chaleur à ce quotidien glacial et solitaire.
Nous venons rapidement à cours de denrées alimentaires. Je suis impressionnée par une jeune femme qui pourrait être ma fille qui avale ses lentilles carottes à une allure incroyable. Je la regarde et je reste scotchée. J’ai envie de lui dire prends ton temps !!! Pour moi ça veut dire quelque chose mais je suis à côté de la plaque sans doute. Elle a certainement pas mangé chaud depuis des lustres !!!
Au passage 2 ou 3 personnes anonymes nous confient des chaussettes, des gants tout neufs à distribuer ou garder pour de futures distributions. Un geste en passant humain, généreux, solidaire. Je suis aussi touchée par ça et reconnaissante.
Alors que chaque bénévole prend le temps d’échanger avec les baroudeurs, Poussine termine de distribuer quasiment tous les vêtements et chaussures qu’elle avait préparées. Moi je ferme boutique je n’ai plus de café. Les Thermos sont désespérément vides. J’aperçois le petit garçon avec sa trottinette, sa maman grelote. Je vois qu’elle a quitté une de ses 2 polaires. Je lui demande si elle veut quelque chose pour se couvrir. Elle me montre sa petite fille qui Chouine assise sur les escaliers recouverte de la polaire de sa maman pour ne pas avoir froid. Sa maman me dit qu’elle attend une autre barroudeuse et que la petite commence à trouver le temps long et a froid. Je suis impressionnée par l’échange de cette maman avec sa petite qu’elle tente tant bien que mal de réchauffer. En fait je ne devrais pas être surprise car elle agit juste comme une maman attentive et protectrice qui aime son enfant plus que tout.
Ce qui est peut être impressionnant pour moi qui suis loin de vivre sa vie c’est que je me trouve concrètement face à de l’humain de la bienveillance dans l’univers de ces baroudeurs qui en est dépourvu.
On remballe. Je comprends qu’un baroudeur habitué part pour une autre région. Chaque bénévole prend le temps de lui dire au revoir, de lui donner du courage pour la suite, et d’échanger quelques mots chaleureux.
On reprend nos maraudeurs un peu plus allégés mais je trouverai le mien quand même plutôt lourd sur le chemin du retour !!!!!!
Et je sentirai encore quelques heures plus tard la longue montée qui mène au local !!! Après avoir vidé mon maraudeur, nettoyé, je ne m’attarde pas car on m’attend. Juste le temps qu’on me désigne gentiment pour rédiger le compte rendu de la matinée. J’ai pensé que c’était une blague ……et bien non même en insistant j’ai compris qu’il fallait que je m’y colle. Mais finalement c’est vraiment avec le plus grand des plaisirs que je vous livre ces mots en guise de mes premières impressions d’une bénévole « bleue » chez les suspendus.
Cette matinée fut suspendue car hors du temps, hors de la vie de bien des gens inimaginable pour certains et pourtant si réelle.
La solidarité prend tout son sens dans ce moment où chacun apporte de son temps de sa force à celui qui en a besoin. Juste de l’humain. »
».